Les meilleurs albums de 2015

Alors que 2016 débute à peine, retour sur les meilleurs albums de 2015,  selon l’équipe de Curiosité Générale !

Le choix de Gabriel  : Barter 6, de Young Thug

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Particulièrement riche en disques de rap, l’année 2015 a montré le genre se faire disséquer savamment. Les thèmes du nihilisme et de l’obscurité ont rejoint la célébration ou encore les ambitions politiques sur ces douze mois qui ont encore un peu plus confirmé la richesse du rap, continent dont il semble pourtant que tout soit encore à explorer. Avec Barter 6, Young Thug dévoile sous l’étiquette désuet de mixtape un disque surprenant, miroir d’un autre sinon d’un énième versant du rappeur.

De la récurrente célébration de ses diamants et de ses téléphones en liasses de billets, les treize morceaux du disque détaillent un quotidien sombre entre litanies lancinantes et gammes sous amphétamines. L’ensemble se dessine autour d’un paradoxe : les textes et les râles évoquent une prison dont le rappeur tente de se libérer en déconstruisant peu à peu aussi bien les architectures que les tropes habituelles du rap ; et pourtant, le son de cet album devenu mixtape pourrait être résumé avec l’idée seule d’espace. La lenteur des basses et la superposition de filtres évoquent un espace infini où résonnent les mélodies chantées, parlées, rappées de Young Thug. Les productions ne sont plus que des squelettes autour desquels la chair se matérialise dans les bruits de voix.

Dans Halftime, sorte d’éloge de la dolce vita en mineur, Thugger hurle, et ce cri résonne comme celui d’un loup qui cherche sa meute sans la trouver, ou d’un rappeur qui tente le tout pour le tout afin de s’extirper d’une langue et d’un genre trop codifiés pour lui permettre de dire. De là le « hey, let’s have a good time… heyy let’s have a very good time » où les mots se transforment en phonèmes dont on ne capte le sens potentiel qu’au bout de la millième écoute, les phrases devenant harmonies imitatives. Young Thug déforme ici la langue au point de n’en faire plus que des sons, qu’une mélodie qui retranscrit le sens des paroles sans avoir même besoin d’en comprendre les termes et la syntaxe : une inquiétante invitation au bon temps, forme de noyade dans les psychotropes ou divertissement pascalien pour fuir sa condition et l’inanité.

Tout l’album oscille ainsi entre hymne de fête ou bande son d’un bad trip et l’amusement apparaît comme vaine tentative d’échapper à la vacuité de la vie où les icônes des clips de rap se diluent dans une mélancolie illicitement accentuée. Véritable chauffard, Thugger accumule les queues de poisson en changeant de flows au milieu d’un couplet, sinon d’une phrase. Les adlibs se greffent sur cette incessante mélodie que les parties instrumentales laissent à la voix du rappeur, lequel habille le morceau sans reprendre son souffle.

« That’s called breathin’, that’s how you let that bitch breath fool », assène-t-il sur Just Might Be, finale de l’album, après une performance à la technique de virtuose et avant de mimer une vaine tentative de reprendre haleine. A la fin de l’écoute, le doute demeure quant à savoir s’il s’agissait d’un marathon ou d’un sprint, mais une certitude aveugle : Barter 6 pousse le rap hors de sa zone de confort.

Le choix d’Eliott :  Carrie & Lowell, de Sufjan Stevens

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Qui aurait cru qu’aujourd’hui, en 2015, un tel album pourrait encore se faire ? Carrie & Lowell sonne en effet comme une anomalie, un tout petit album, aux chansons douces et mélancoliques, mais qui contient en lui un univers entier.

A l’intérieur, Sufjan Stevens se raconte, mêlant les terreurs et les joies de l’enfance à la douleur d’une absence – celle de sa mère, décédée en 2012. Ses mélodies sont souvent d’une grande simplicité, entre Nick Drake et Bill Fay, et la voix du chanteur couvre à peine le bruit du ventilateur qu’on imagine posé près de lui dans le studio qu’il enregistre. De fait, on imagine et on voit beaucoup de choses, en écoutant Carrie & Lowell – c’est le propre des grandes œuvres d’art d’accéder à l’universel par ce qu’il y a de plus intime. Et ce que l’on retient, quand la dernière note de Blue Bucket of Gold retentit, c’est un intense tourbillon de sentiments où se retrouvent autant la joie que la peur, autant le désespoir que le sublime.

Le choix de Juliette : Fables de Girls in Airports

0005428791_10Sorti en août 2015, Fables, de Girls In Airports, est certainement l’un des albums les plus originaux de l’année passée. Et il est conçu par un groupe qui définitivement gagne à être connu.

Le titre Fables correspond bien au style de musique purement instrumentale jouée par le groupe dans cet album. Les ballades de jazz accentuées de lignes pop, de tonalités exotiques et de textures électroniques hypnotisantes, transportent la personne qui écoute dans des atmosphères de contes et d’univers oniriques.

Le titre de l’album serait aussi un hommage à Fables of Faunus de Charles Mingus, dont le processus de création se rapprocherait de celui de Girls In Airports. Ce quintette danois, qui contrairement à ce que son nom suggère est entièrement masculin, fonctionne en effet par improvisation collective autour d’une mélodie principale, souvent esquissée par le saxophoniste Martin Spender, puis précisée par le claviériste Mathias Holm. Les autres membres du groupe sont Lars Greve au saxophone ou à la clarinette, ainsi que Mads Forsby et Victor Dybbroe à la batterie et aux percussions.

Ce quatrième opus est sans doute l’album le plus expérimental de Girls In Airports. Le premier album éponyme (2011), ainsi que Migration (2012) et Kaikoura (2013) comportaient des mélodies davantage accessibles et entrainantes. Mais tous sont hautement recommandables!

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